Lois Weinberger, RETOUR À LA TERRE
Libération, 22.04.2020 | Clémentine MercierL’artiste originaire du Tyrol autrichien, popularisé lors de deux Documenta, est décédé à Vienne mardi. Centrée autour des plantes et de la terre, son oeuvre est un manifeste pour le rôle essentiel des mauvaises herbes.
Les médias autrichiens l’annoncent ce mercredi : l’artiste conceptuel Lois Weinberger est décédé à Vienne dans la nuit de mardi à l’âge de 72 ans. En 2017, à l’occasion de la Documenta 14 de Cassel, déployée à Athènes, l’artiste autrichien avait marqué les esprits avec Débris Field, une œuvre puissante qui présentait les objets issus de fouilles sous sa ferme au Tyrol. Sous les bâtiments de la maison familiale vieille de 600 ans, un véritable musée avait surgi du sol. Pendant six ans, l’artiste avait passé au peigne fin la terre de ses ancres. Dans le sous-sol, il avait alors découvert des objets, des outils, des chaussures d’enfant et même une momie de chat (les félins étaient tués lors de rites en offrande aux maisons). Toute une vie spectrale se dessinait dans la fascinante accumulation de ces fouilles archéologiques.
Mais l’autrichien s’est surtout fait connaître en 1997 à la Documenta X. Lors de cette édition, à Cassel, l’artiste avait planté des graines venues du sud de l’Europe sur une voie ferrée désaffectée. Geste en faveur de la mixité botanique, Lois Weinberger a fait de cette œuvre un manifeste implicite pour la diversité et la circulation des espèces.
Homme de terrain
Né en 1947 à Stams, dans le Tyrol autrichien, Weinberger grandit dans une famille de métayers qui cultive sept hectares d’une abbaye cistercienne. Jeune, il suit une formation de serrurier et de forgeron, puis fréquente l’école d’art de Vienne. Une de ses premières œuvres utilise les déchets issus de la décrue d’un fleuve : des morceaux de plastique colorés qu’il accroche à un arbre dans le jardin familial. Ainsi paré des décombres rejetés par la nature, l’arbre ressemble à un piteux arbre de Noël, symbole pathétique de la pollution humaine…
Artiste, botaniste, archéologue, Lois Weinberger aimait surtout à se définir comme un «homme de terrain». Pionnier du débat entre nature et culture, le plasticien s’intéressait à la façon dont la société traitait ses plantes. «Notre société catégorise les végétaux en fonction de leur supposée valeur, notamment économique, sans connaître leurs réelles propriétés.» De l’ignorance et la maltraitance de la nature, il en a fait (en duo avec sa femme Franziska) un miroir de notre civilisation. Plaidoyer pour le «rudéral» (ce qui pousse dans les décombres), son œuvre s’attache à mettre en avant, de façon non ostentatoire la terre, le végétal et en particulier les mauvaises herbes. Son exposition «l’Envers du paysage», en 2018 au Frac de Besançon, commençait avec cette phrase : «Vous n’avez jamais vu de jardins/ juste leurs pauvres restes en surface/ les merveilleux jardins, ils sont en profondeur…»